Gohar Homayounpour : « Je vais vous raconter la beauté de faire de la psychanalyse avec le troisième œil »

Gohar Homayounpour : « Je vais vous raconter la beauté de faire de la psychanalyse avec le troisième œil »

La psychanalyste a débuté sa carrière en France et aux États-Unis. Jusqu’à ce qu’il décide de travailler à Téhéran

L’une des choses les plus difficiles auxquelles un être humain doit faire face est la perte d’un être cher. L’abandon, la maladie, le deuil entraînent douleur et dépression. Les guerres et les conflits aggravent les choses. Et dans notre esprit, les détails de la vie font remonter le traumatisme à la surface.

Dans les pensées de Gohar Homayounpourécrivain et psychanalyste iranien, il y a une couleur qui fait ressortir la tristesse : le bleu persan, celui de la chemise que portait son père lorsqu’il s’est noyé dans le lac Léman à Genève. Une souffrance qu’au fil du temps Homayounpour a appris à affronter avec amour. Et que dit-il, invité du Festival Salute 2024, en cours à Padoue.

LE SPÉCIAL Salut Festival 2024

«J’ai été affligé quand j’ai découvert comment t’aimer vraiment. Il y a trop de haine dans la mélancolie », écrit-il dans le livre : « Les Bleus à Téhéran » (éd. Raffaello Cortina). Recommencer à vivre pour ceux qui ne sont plus là et qui ne voudraient pas nous voir détruits. Choisir d’aller de l’avant sans se perdre dans ce monde plein de ressentiment qu’est la mélancolie.

Professeur Homayounpou, vous proposez un moyen de combler le vide après une défaite
« Les blessures ne peuvent pas disparaître, mais on peut vivre avec elles. La perte d’un être cher vous rend plus éthique, vous aide à comprendre ce qui est juste. La psychanalyse peut accompagner le patient sur ce chemin, mais elle ne peut pas effacer la douleur. Nous ne pouvons pas panser nos blessures, ni effacer celles des autres. Nous pouvons vivre et aider les patients à avoir une vie agréable. Tout cela, non pas malgré les blessures, mais précisément à cause d’elles. »

Quelle est l’importance de la relation avec le monde extérieur ?
« Lorsque nous sommes très déprimés ou anxieux, nous sommes trop concentrés sur nous-mêmes. Cela cache une forme de narcissisme. On a le sentiment qu’on ne peut plus se sentir bien, mais ce n’est pas le cas. Le traumatisme et la mélancolie sont intemporels. Nous sentons que nous sommes dans une situation qui ne changera jamais. Nous ne pouvons pas penser que la douleur du deuil va disparaître, mais nous pouvons apprendre à vivre avec. »

Dans Blues in Tehran, vous parlez aussi de la valeur de la musique.
« Le mot Blues est associé à la mélancolie, c’est un genre musical qui fait partie de la vie et de la mort. Il contient des peurs, des pertes, mais aussi des amours et des joies. Cela aide à traiter le deuil et la tristesse, car c’est agréable à écouter. »

Quel est le rôle de l’humour pour essayer de se sentir mieux ?
« Cela nous aide à regarder au-delà, mais pour fonctionner, nous avons besoin d’être conscients de l’autre, du monde extérieur. Nous devons devenir des êtres sociaux. »

Elle a fait un choix « révolutionnaire », elle a quitté Paris pour travailler à Téhéran
« Derrière chaque décision se cachent toujours des raisons inconscientes et conscientes. J’ai choisi l’Iran pour y faire de la psychanalyse et essayer de transmettre le discours psychanalytique aux générations futures. Mon père a dirigé le programme d’alphabétisation des adultes en Iran pendant des années. J’ai fondé le Groupe Freudien de Téhéran pour suivre mon envie mais aussi la sienne. En Iran, la psychanalyse est encore quelque chose de « subversif », comme il se doit. »

En quel sens la psychanalyse est-elle subversive ?
« Vivre et faire de la psychanalyse à Téhéran oblige à voir les choses avec le troisième œil. Et le langage de l’inconscient est celui de la marge, donc subversif. C’est pourquoi la psychanalyse connaît du succès en Iran. En Occident, il est en déclin parce qu’il est lié au message consumériste : « Le client a toujours raison ». Nous essayons de le nettoyer de ce qui peut gêner le patient. Plus nous devenons politiquement corrects pour attirer les clients, moins nous sommes désirables aux yeux des patients.

Y a-t-il un intérêt pour la psychanalyse en Iran ?
« Nous avons plus de 200 étudiants et je peux dire que même à Mashhad, l’une des villes les plus religieuses du pays, le désir de psychanalyse est de plus en plus fort. Les patients sont moitié hommes et moitié femmes. Mais généralement, les hommes n’adhèrent pas au travail de groupe. Ils préfèrent les séances individuelles. »

Elle n’aime pas parler des patients iraniens comme d’une catégorie à part.
« La douleur est la même partout dans le monde. Nous partageons tous les plaisirs et les inconforts de la vie humaine, mais il existe des différences culturelles. Nous devons tenter de considérer ces différences à partir d’une position de différence et non d’identité. En tant que freudien, je crois à l’universalité du complexe d’Œdipe mais il existe en Iran une élaboration particulière que j’appelle le complexe de Shéhérazade. L’objet du désir des filles reste leur mère. Parce que la dynamique familiale est bien plus matriarcale qu’on pourrait l’imaginer. L’Occident a continuellement utilisé la logique binaire de victimisation ou d’érotisation des femmes iraniennes. Les femmes iraniennes le sont bien plus. »

Mais les valeurs islamiques de son pays et la psychanalyse peuvent-elles partager ?
« Les théories freudiennes concernent toute l’humanité. Il y aura toujours des interdits liés à la sexualité par exemple, et des sujets comme l’inceste ou le parricide resteront toujours tabous même dans les sociétés les plus avancées. En Iran, ces aspects sont plus évidents car nous sommes confrontés à une situation sociopolitique plus difficile. »

Le samedi 26 octobre à 12h10 Gohar Homayounpour sera sur scène au Salute Festival 2024 et sera interviewé par Maura Gancitano (Aula Magna de l’Université de Padoue)