Se sentir victime : quand cela devient un alibi et que la vie s’arrête
Des événements incontrôlables qui affectent, mais aussi une attitude naturelle à se sentir victime. Rendre difficile de faire des choix et de décider
La réalité concerne la victime. La victimisation est une cristallisation de la pensée. La vie, disent-ils, n’est pas nécessairement bienveillante et généreuse. Les événements indépendants de notre volonté arrivent sur nous, disent les Anglais, comme une tonne de briques. Des voitures sur la mauvaise voie, un conducteur sous l’emprise de la cocaïne, une avalanche ou un orage soudain frappe notre corps ou celui de nos proches.
Aurions-nous eu le pouvoir et le contrôle, aurions-nous pu l’éviter ? Non, à moins que nous nous soyons enfermés dans un bunker en attendant une guerre atomique, ce qui n’est pas un choix que je recommanderais. Nous pouvons être victimes de viols, d’agressions, de vols, de maladies, autant d’événements ayant une caractéristique : ils sont puissants, nuisibles et, au mieux de nos capacités de raisonnement, inévitables. Dans tous ces cas nous sommes victimes, c’est une condition qui appartient au registre de l’objectivité, avec une causalité linéaire : l’événement nous fait mal et nous n’aurions pu ni l’empêcher ni l’éviter. La victimisation est une position psychologique.
(((gele.Finegil.StandardArticle2014v1) La santé « fragile » des femmes victimes de violences))
La victimisation dénature la réalité
Confondre le fait d’être une véritable victime avec la capacité de se sentir telle, de se présenter comme telle et de harceler le monde pour qu’il le reconnaisse est préjudiciable. Quelle est la différence ? Dans la situation de victime, la réalité n’est pas le facteur principal, ni le seul, qui fait que le mal persiste. Oui, il peut y avoir un élément extérieur qui génère une certaine douleur. Un manque de reconnaissance au travail.
Une critique sévère dans la relation du couple. Un commentaire importun dans la rue. Le groupe de pairs qui vous exclut toujours du match de football et vous traite de « gros ». Des événements douloureux, bien sûr. Dans un certain sens, nous sommes véritablement victimes de ces événements, mais pour une durée limitée.
Contrôler l’avenir
Parce qu’alors, contrairement à l’état de véritable victime, nous avons le pouvoir et le contrôle sur ce qui va nous arriver. Certainement de l’état intérieur, parfois du monde extérieur. Si le problème est au travail ou dans le couple, hors situations dans lesquelles nous n’avons aucune marge d’action ou de choix, nous pouvons réagir de mille manières : confronter patrons et collègues, parler à notre partenaire, laisser filer le commentaire négatif car finalement nous savons que cela ne dit rien de notre essence, lancez quelques blagues pleines d’esprit et le prochain match, nous ferons partie de l’équipe. On peut penser à changer de métier, de forme de relation. Parfois, je me rends compte que cette action a une importance choquante et révolutionnaire, on peut même envisager l’idée d’une séparation. Et le sens de la causalité reste souvent à déterminer.
Le bourreau ne s’implique jamais
L’avalanche, le conducteur sous l’influence de substances et le violeur sont des causes incontestables. Le victimiste, quant à lui, a un regard sélectif sur ce qu’il subit et un aveuglement radical sur ce qu’il fait à l’autre. Oui c’est vrai ma compagne est froide et distante, je suis victime de son indifférence. Allez comprendre que peut-être qu’elle attendait une pensée pour l’anniversaire ou que si je la critique chaque jour que le créateur de l’univers envoie sur terre à un moment donné, elle ne me supporte plus.
Se considérer comme des victimes est simple, cela nous donne une position d’avantage moral, se considérer comme des bourreaux n’est pas très à la mode, levez la main si vous avez lu des posts sur les réseaux sociaux qui disent « le bourreau est le nouveau noir ». La victime a besoin de soutien, de compréhension, de soutien et de soins, d’autant plus que la réalité a exercé son fouet brutal. Le bourreau a besoin d’un changement de perspective. Parce que cette cristallisation cause des dommages à ceux qui l’incarnent et au micromonde environnant.
Perdre la capacité de décider
Parce qu’en vous considérant comme une victime, vous perdez la capacité de choisir et de décider. Si les chaînes sont munies de cadenas, les clés restent dans des tiroirs qu’une main trop paresseuse ne veut pas ouvrir. Si le sentier ombragé nécessite de gravir une colline légèrement accidentée, la victime ne le suit pas, préférant protester d’abord auprès de ceux qui n’y ont pas placé des dalles bien formées pour servir d’escalier puis, tournant le regard vers le ciel, auprès des le soleil tape sans le respecter comme il le mérite : « Ah, étoile maudite, autoritaire et immorale ».
La victime succombe, le bourreau répète une histoire
La victime succombe à une circonstance, le bourreau répète une histoire. Car, paradoxalement, celui qui adopte cette position a bien été un jour une victime. De négligence, de jugements implacables, d’absence d’amour et de soins, de soutien et de gentillesse. Parfois il a subi de petits et grands mauvais traitements, parfois de véritables abus. Mais à ce moment-là, dans le théâtre interne, il a choisi un scénario : je souffre du mal, vous le génèrez et vous devez réparer, compenser ou écouter mes protestations comme punition éternelle pour ce que vous m’avez causé.
Il répète ce scénario au fil des années et des décennies, les gens changent mais les parties comiques restent inchangées. Parfois il en profite, « putes et baises » dit-on à Naples, parfois même pas. C’est juste une répétition stérile et fastidieuse qui agace le micromonde et ne permet jamais d’atteindre le seul objectif sensé : se libérer de ses propres fantômes.