Cancer : « Nous pouvons le guérir. Il faut maintenant trouver comment le prévenir. Avec la science »
A la veille de l’ouverture du congrès annuel, parle Giuseppe Curigliano, président élu d’Esmo
Le congrès annuel d’Esmo, la Société européenne d’oncologie médicale, s’ouvre demain à Barcelone. Un événement qui devient de plus en plus central dans le monde de l’oncologie, de par la qualité des résultats scientifiques présentés et le nombre de spécialistes qui y participent. Nous avons demandé Giuseppe Curiglianodirecteur de la division Développement de nouveaux médicaments à l’Institut européen d’oncologie de Milan et président élu d’Esmo pour la période de deux ans 2027-2028, pour expliquer les raisons de ce dynamisme croissant de l’oncologie européenne et révéler les innovations qui être présenté au congrès.
Professeur Curigliano, la recherche européenne joue de plus en plus un rôle de premier plan dans le domaine de l’oncologie. A quoi est-ce dû ?
« L’oncologie européenne connaît certes une période de forte croissance, liée selon moi essentiellement à la forte interaction entre la recherche académique et la recherche sponsorisée par les laboratoires pharmaceutiques. Les succès importants que nous obtenons ne sont pas seulement dus à notre plus grande capacité à introduire de nouveaux médicaments dans la pratique clinique, mais aussi et surtout à une plus grande interaction avec le secteur privé. L’objectif est double : identifier les besoins de santé des patients et développer des réponses possibles. Je remarque, surtout ces dernières années, que dans ce scénario, les universitaires européens sont encore plus réactifs que les Américains. Lors de la réunion de l’American Society of Oncology en juin dernier, par exemple, nous avons constaté une prédominance des locuteurs européens : c’est le résultat d’un plus grand investissement de l’académie européenne dans le domaine de l’oncologie, fondamentale et autre, et aussi d’une forte interaction entre la recherche translationnelle indépendante et clinique soutenue par les acteurs pharmaceutiques ».
Pourquoi les chercheurs européens sont-ils plus réactifs face aux études sponsorisées ?
« Nos chercheurs disposent de moins de financement pour la recherche spontanée et doivent donc produire une recherche translationnelle de meilleure qualité pour survivre dans un environnement aussi compétitif. Participer à une étude, c’est garantir l’accès des patients à l’innovation, en se familiarisant immédiatement avec les processus et les thérapies qui peuvent changer la pratique clinique et sauver le système national de santé ».
Cela n’a-t-il pas toujours été ainsi ?
« Oui, mais ces dernières années, le monde de l’oncologie est devenu extrêmement dynamique : il y a eu davantage d’investissements, comme je le disais, notamment de la part du secteur privé. En particulier, après la pandémie, il y a eu une nouvelle poussée énorme en faveur de la recherche.»
La contamination entre public et privé présente des risques. Les mécanismes de contrôle sont-ils adéquats ?
«C’est un sujet important. Tout d’abord, toute étude clinique doit partir d’une conception qui est presque toujours dirigée par des universitaires et doit répondre à des besoins cliniques spécifiques non satisfaits. Il peut certes y avoir des biais inconscients dans l’évaluation des résultats, mais n’oublions pas que tout essai est toujours évalué par une commission externe, et que les résultats sont soumis à un examen par les pairs (peer review, un mécanisme de contrôle qualité, ndlr). scientifique, avant d’être publié, et par les organismes de réglementation. Tous ces contrôles sont essentiels pour apporter au patient un médicament sûr et bénéfique. »
Le congrès annuel Esmo s’ouvre demain, l’occasion de présenter les résultats obtenus par les oncologues européens à la communauté scientifique et au grand public. Quelles sont les principales études qui seront présentées ?
« Le congrès de cette année se concentre sur le concept d’« équilibre », l’équilibre nécessaire entre l’efficacité d’une thérapie et son impact sur la qualité de vie des patients. La vision d’Esmo, portée jusqu’à présent par le président Esmo Andrés Cervantesest en fait de garantir l’accès à des thérapies ayant plus de « valeur », c’est-à-dire qui assurent une amélioration à la fois de la survie et de la qualité de vie. Dans cette optique, des essais qui modifieront la pratique clinique ont été sélectionnés pour les sessions présidentielles. Parmi ceux-ci, la première radiothérapie métabolique combinée au radium 223 et à l’hormonothérapie chez des patients atteints d’un cancer de la prostate avancé. Le second porte sur les carcinomes épidermoïdes de l’anus, un besoin clinique très insatisfait : l’essai porte sur l’immunothérapie en association avec une chimiothérapie standard. La troisième étude est présentée par un chercheur italien, et concerne à nouveau l’utilisation de l’immunothérapie en complément de la chimiothérapie dans le cancer du col de l’utérus. Une autre étude combine l’immunothérapie et la thérapie antiangiogénique pour les cancers du foie.
En 2027, il prendra ses fonctions de président d’Esmo. Quelle est votre vision de l’activité que devra mener la société scientifique ?
« Je crois qu’il est essentiel que les sociétés scientifiques comme Esmo commencent à s’occuper de la prévention, tant primaire que secondaire. Nous savons par exemple qu’il existe des populations à haut risque, qui ont 30 à 40 % de chances de développer un cancer et sur lesquelles nous pouvons intervenir aujourd’hui avec un diagnostic précoce. Grâce à la biopsie liquide, par exemple, nous pouvons identifier l’ADN tumoral circulant bien avant que la maladie ne se manifeste cliniquement. Je pense également à des technologies d’imagerie de plus en plus efficaces, notamment grâce à l’intelligence artificielle. »
Pensez-vous que le futur dépistage basé sur ces technologies est durable ?
« L’objectif de la science et de la recherche biomédicales est d’améliorer la survie et la qualité de vie des patients. Le problème du remboursement de ce qui permet aux gens de mieux vivre est un problème auquel les hommes politiques doivent faire face. Il y a certes une question de durabilité des nouvelles technologies et des médicaments innovants, mais je me demande pourquoi l’Union européenne ne crée pas une table de négociation unique, comme cela a été le cas pour les vaccins contre le Covid. Je pense que c’est la chose la plus banale qui puisse être faite, capable également d’assurer un pouvoir de négociation plus grand que celui que peuvent exercer les États individuels. »