Le poids des mots : les jugements scolaires et le risque d’éteindre l’envie de grandir
Le ministre de l’Éducation a justifié ce choix en parlant d’une plus grande clarté dans la communication avec les familles. Sommes-nous sûrs que faciliter les tâches des adultes ne peut pas coûter trop cher aux enfants ?
Enseigner n’a jamais été simplement une question de transmission de connaissances ou d’évaluation de compétences. Éduquer, c’est accompagner, cultiver, soigner. Et surtout, cela signifie donner de la valeur au chemin, pas seulement au résultat. C’est pour cette raison que chaque fois qu’un changement au système d’évaluation scolaire est proposé, il est nécessaire de s’arrêter et de réfléchir à ce que nous communiquons réellement à nos enfants, à nos élèves.
La réintroduction récente des jugements synthétiques à l’école primaire – ces mots simples et clairs comme « excellent », « bon », « suffisant », « insuffisant » – soulève une série de questions profondes. Le Ministre de l’Éducation, Giuseppe Valditaraa justifié ce choix en parlant d’une plus grande clarté dans la communication avec les familles et d’une évaluation plus immédiate et compréhensible. Mais sommes-nous sûrs que faciliter les tâches des adultes ne peut pas coûter trop cher aux enfants ? Imaginez un enfant de sept ans qui, à la fin d’une tâche, reçoit une évaluation sommaire. « Suffisant ».
Notation de conduite, Recalcati : « Important à une époque qui piétine le sens de la loi »
Des mots et des enfants
Un mot qui, pour nous, adultes, peut paraître neutre ou moyennement positif. Mais comment cet enfant le vit-il ? Souvent, non pas comme une évaluation momentanée d’une performance, mais comme un jugement sur soi-même. « Je suis assez, rien de plus. Je ne suis pas bon. » Voilà le risque qui se cache derrière les mots : ils se transforment en étiquettes. Des étiquettes qui, une fois collées, sont difficiles à retirer. L’évaluation scolaire, notamment dans les premières années de la vie, a un impact qui va bien au-delà de la simple mesure des compétences. Cela a à voir avec la construction de l’estime de soi, avec la formation de l’identité. À cet âge, les enfants ne disposent pas encore des outils nécessaires pour faire la distinction entre leur valeur en tant que personne et le résultat d’une seule tâche. Un « insuffisant » n’est pas qu’un jugement sur un exercice : il peut devenir, dans leur esprit, une marque. Et une marque qui dit : « Vous n’êtes pas assez. »
Évitez les étiquettes
Combien de fois, en tant qu’adultes, portons-nous sur nous les étiquettes de notre passé ? Combien de personnes, dans leur parcours de vie, restent coincées dans l’idée d’être « insuffisantes », de ne pas être à la hauteur, de ne pas mériter ? Les jugements synthétiques risquent de se transformer en barrières qui ne laissent aucune place à la complexité du chemin de croissance. Chaque enfant a ses horaires, ses rythmes. Certains mettent plus de temps à apprendre, d’autres ont besoin de méthodes d’enseignement différentes, mais chacun, sans exception, a le droit de se sentir capable de s’améliorer. Et une évaluation réduite à un mot sec n’offre pas cette possibilité. Il ne décrit pas le processus, il n’explique pas les progrès réalisés ou ceux qui restent à faire. Cela donne simplement une étiquette, un point fixe, une fermeture.
Apprentissage
Et lorsque l’apprentissage se réduit à cela, lorsque l’enfant se voit classé et incompris, la motivation à s’améliorer s’éteint. Il ne s’agit pas seulement d’empêcher les enfants de se sentir jugés. Le problème va plus loin. C’est l’ensemble du système éducatif qui risque d’être appauvri par une vision trop simpliste de l’évaluation. Le système du niveau précédent, aussi imparfait soit-il, avait au moins le mérite de décrire le processus d’apprentissage, de reconnaître que chaque enfant est en voyage, et que chaque voyage comporte ses étapes. Il valorisait l’effort, le progrès, l’engagement. Les jugements synthétiques semblent au contraire davantage orientés vers la performance, vers le résultat final, alimentant une compétition qui, dès le plus jeune âge, peut s’avérer néfaste. Nous enseignons aux enfants que seules les étiquettes comptent, que le but est de devenir « génial », et non d’apprendre ou de s’améliorer.
Ne rivalisez pas
Mais l’école n’est pas une compétition. Ou du moins, cela ne devrait pas l’être. C’est un lieu de croissance, un environnement dans lequel on apprend aussi à faire des erreurs, à tomber et à se relever. Où l’erreur n’est pas un échec, mais une étape nécessaire pour s’améliorer. Un endroit où chaque enfant devrait se sentir en sécurité sur son propre chemin, et non constamment sous surveillance, sous jugement. Lorsque l’école devient une arène de compétition, on perd de vue son véritable objectif : accompagner nos enfants dans leur évolution, en les aidant à découvrir leur potentiel, sans craindre leurs limites. Et puis il y a un autre aspect fondamental : le dialogue entre l’école et la famille. Le ministre Valditara affirme que les jugements sommaires améliorent la communication avec les parents, rendant tout plus clair.
Mais se demande-t-on vraiment ce que signifie « clarté » ? Il est peut-être plus facile de lire un mot comme « bon » ou « insuffisant », bien sûr. Mais que cache cette simplicité ? Que peut réellement comprendre un parent à partir d’un mot aussi clair et, en même temps, si peu descriptif ? L’école ne doit pas seulement proposer un jugement, mais aussi une histoire. Une histoire de qui est cet enfant, comment il grandit, quels sont ses points forts et ses points à améliorer. Un jugement synthétique, aussi clair soit-il, ferme le dialogue au lieu de l’ouvrir. Il n’offre pas d’indications concrètes sur la manière dont cet enfant peut être soutenu, sur les mesures à prendre pour l’aider à s’améliorer. Nous ne devons jamais oublier que chaque choix éducatif a un impact profond sur la vie des enfants, et pas seulement sur leurs résultats scolaires.
Une façon d’évaluer les enfants
L’évaluation ne peut être réduite à une opération de simplification pour les adultes. Il doit rester un outil qui prend en compte le bien-être émotionnel, la motivation et l’épanouissement de chaque enfant. Nous devons enseigner à nos enfants que l’apprentissage est un processus continu, que leur valeur ne se mesure pas par une étiquette et que chaque étape, même la plus petite, compte. Ce n’est qu’ainsi que nous pourrons construire une école qui ne juge pas, mais qui éduque, qui ne classe pas, mais qui accueille. Une école qui se tourne vers l’avenir des enfants, et pas seulement vers leurs performances actuelles. Car en fin de compte, la plus grande valeur que nous puissions donner à nos enfants n’est pas une note, mais la certitude qu’ils peuvent toujours grandir, s’améliorer et devenir la meilleure version d’eux-mêmes. Et pour cela, ils ont besoin de se sentir non pas étiquetés, mais accompagnés.
Giuseppe Lavenia est psychologue et psychothérapeute, président de l’Association nationale des addictions technologiques, GAP et cyberintimidation « Di.Te », professeur de psychologie des addictions technologiques à l’Université E-Campus et professeur de psychologie du travail et des organisations à l’Université Polytechnique des Marches.